Auteur : Florence Raguenez

Journaliste pendant près de 15 ans, je me suis convertie au métier de professeur des écoles à l'âge de 40 ans. Depuis cette reconversion, mon regard d'enseignante et ma curiosité de mère se conjuguent avec mon goût pour l'écriture : j'ai souhaité ouvrir les portes de nos classes pour faire découvrir les adultes qui oeuvrent au sein des écoles. https://professeursdesecoles.wordpress.com/ Depuis 7 ans, je me suis engagée dans une autre recherche pour mes élèves, pour les aider à se centrer, pour mieux se concentrer. Mes formations et mes expériences auprès d'élèves de cycle 1, 2 et 3, m'amènent aujourd'hui à transmettre ces outils corporels dans les écoles, soit directement auprès des élèves, soit auprès des enseignants qui souhaitent acquérir ces techniques pour leur propre pratique de classe. Pour en savoir plus : https://bienvivreenclasse.wordpress.com/

Vœux 2020 : ancrage et créativité !

Chers lecteurs, chères lectrices !

Ce blog vit désormais sa vie « en autonomie » !

Les connexions continuent d’affluer, preuve de l’intérêt que suscitent notre métier de professeurs des écoles. En 2019, plus de 6300 lecteurs se sont connectées. Et parmi les évolutions des critères de connexion, j’observe que le 1er article consulté est celui qui traite du problème du burn-out des enseignants.

Signe des temps…

De fait, je me permets d’affirmer la nécessité d’utiliser de nouveaux outils, au service du bien-être des élèves et des enseignants, qui permettent de favoriser un meilleur climat de classe et une meilleure concentration. Au plus prêt des besoins des enfants, les techniques corporelles issues de l’expression corporelle, de la danse et du yoga, notamment, apportent un mieux-être en classe évident.

Le blog  https://bienvivreenclasse.com/   relate un bon nombre d’exercices pratiques et simples. Connectez-vous, abonnez-vous, et surtout : essayez-les !

Je vous souhaite que l’année 2020 vous offre à la fois l’ancrage, la créativité et l’énergie d’expérimenter ces outils !

Bien à vous,

Florence

Bien-être des élèves

Chers lecteurs,

Début 2019, ce blog franchit le cap des 82 000 visites !… 

Un grand merci, une fois encore, à tous ceux qui ont accepté de témoigner pour contribuer à faire connaître le quotidien (heureux ?) des professeurs des écoles… ainsi qu’à vous tous, lecteurs curieux.

Comme annoncé il y a quelques mois, j’ouvre un nouveau blog : celui-ci  relate des exemples de techniques corporelles simples et concrètes pour aider les enfants à s’apaiser, pour mieux se concentrer.

Connectez vous sur  https://bienvivreenclasse.com/ !

Belle découverte, pour vous et pour votre enfant et/ou vos élèves.

Bien à vous,

Florence

30 000 visiteurs… je pose ma plume pour m’engager dans une nouvelle recherche.

Chers lecteurs,

Ce blog, « Le quotidien (heureux ?) des professeurs des écoles », s’apprête aujourd’hui, 28 septembre 2017, à souffler 3 bougies.

3 ans, 13 articles parus, plus de 30 000 visiteurs et 64 000 pages lues.

Merci à vous, pour votre intérêt et votre curiosité !

Merci aux institutions qui relayent ce travail.

Et un immense merci à ceux qui ont participé à l’aventure !!!

Chaque reportage est né d’un questionnement. Celui de vivre pleinement ce métier, sans laisser flétrir le regard posé sur chaque élève, a été omniprésent dans ma recherche. Et d’autres encore : comment exercer de manière engagée, tout en restant lucide et mesuré(e) ; comment observer sans juger ; comment rester ancré(e) face aux difficultés qui nous heurtent…

Chaque moment de rédaction m’a offert la possibilité de décanter toutes les informations que je recevais, en réponse à mes questions. J’en ai tiré beaucoup d’enseignements pour ma pratique et il m’a semblé naturel de partager tout cela, comme d’autres enseignants partagent leurs outils de travail entre eux, sur le net ou de manière informelle.

PAUSE[1]

Cela dit, je décide aujourd’hui de laisser en suspens ce temps de rédaction. Une nouvelle affectation (que j’ai souhaitée) m’amène à me replonger dans mes préparations – et oui, il faut le dire, un changement de poste entraîne plus de travail de préparation !-. Et j’ai le projet de continuer à me former. Objectif : acquérir de nouveaux outils pour contribuer à l’harmonie du groupe-classe. Car sans négliger la pédagogie, il me semble aujourd’hui absolument essentiel d’œuvrer pour que chaque enfant se sente bien en tant qu’individu dans son groupe, pour s’investir pleinement, en tant qu’élève, dans les apprentissages.

Le blog reste ouvert, et je pose momentanément ma plume pour m’engager dans une nouvelle recherche… que j’aurai sans aucun doute envie de partager prochainement avec vous !

Bonne continuation à chacun-chacune d’entre vous !

A très bientôt.

Florence

Création du visuel : https://florilege6.blogspot.fr/2017/ (Merci à Florence, amie graphiste, qui a illustré mon blog régulièrement).

 

Dialogue parents-enseignants autour d’un enfant handicapé

Une rubrique spécifique de ce blog (en colonne de droite  du blog) recueille des témoignages de parents et d’enseignants ayant vécu une rupture de dialogue, avant de réussir à renouer l’échange autour de l’enfant-élève.

Pour ce 3ème cas de figure, les deux personnes qui partagent aujourd’hui leurs ressentis ont vécu des moments très douloureux. Il s’agit de la maman d’un enfant handicapé, qui a aujourd’hui 9 ans, et de l’enseignante qui l’a accueilli à l’âge de 3 ans. Des années plus tard, maman et enseignante ont pu de nouveau échanger posément, pour dire ce qu’elles avaient ressenti et ce qui avait motivé leurs actes respectifs.

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Le témoignage d’Isabelle, maman d’un petit garçon handicapé :

« C’était l’incompréhension totale. J’ai senti un rejet. »

« On a toujours su que Clément était différent. Mais tant qu’on ne sait pas vraiment, on a toujours espoir que son enfant y arrive : qu’il arrive à rester dans le milieu scolaire ordinaire. Parce que quand un enfant quitte ce milieu, on sait bien qu’il n’y reviendra pas. Et qu’il ne fera pas d’étude pour avoir un métier.

Quand il a fallu faire une demande d’AVS, en Petite section, nous avons fait le nécessaire. Mais un an plus tard, quand la même enseignante qui accueillait les PS-MS nous a annoncé ce qui se passait en classe, pour nous dire que ce n’était plus possible qu’il soit scolarisé toute la journée, là, ça a été l’incompréhension totale. Moi, je fais confiance dans l’institution. La parole de l’instit’, du prof, je vais le croire. Sauf là. Là, à ce moment-là, je me suis dit : les enseignants savent faire, c’est leur métier. Un enseignant doit savoir accueillir un enfant, quelles que soient ses difficultés. Donc oui, j’ai pensé que cette enseignante ne savait pas faire son métier. Qu’elle ne voulait pas de notre enfant. J’ai senti un rejet. C’était l’incompréhension totale.

Après coup, je peux dire qu’on n’était pas prêt à entendre. On ne voulait pas entendre. Il ne faut pas oublier qu’en tant que parents, on ne voit pas ce qui se passe dans la classe. Et si on le voyait, ce serait comme une claque en pleine figure.

Aujourd’hui, j’ai envie de dire que c’est peut-être grâce à tout cela qu’on en est là où on en est. Si l’enseignante ne nous avait pas alertés ainsi, on n’aurait peut-être pas fait d’examens médicaux aussi rapidement. Clément est hyperactif. Et une recherche génétique vient de montrer qu’il souffre d’un gène défectueux. Cela ne nous donne pas de solution : un gène, ça ne se répare pas. Mais vous ne pouvez pas vous imaginer comme cela nous enlève un poids à l’intérieur de nous. On appréhende différemment ses colères. On a un nom. Quand on aura un dossier à monter, maintenant, on pourra mettre un nom.

Au fil du temps, depuis la petite section, on a passé beaucoup d’étapes. Avec son médicament, Clément est resté scolarisé à l’école. Il a redoublé une fois. On gère année après année, période après période. Il a ses limites dans les apprentissages, notamment dans l’écriture. Mais il progresse, à son rythme.

Moi, de mon côté, j’ai décidé de me prendre en mains. Le quotidien est épuisant. Je fais des séances d’hypnose, je consulte un psychologue. Il faut se ménager des plages pour nous, les parents. Il faut trouver des sources d’énergie pour vivre les choses comme elles sont. Aujourd’hui, j’ose dire les choses : quand je ne reprends pas mon fils qui pique une colère, par exemple dans un magasin ou pendant une fête de famille, je sais qu’il vaut mieux ne rien dire, sinon ça empire. Les gens qui ne connaissent pas la situation font des commentaires ; mais je me suis endurcie.

Pour revenir à ce qui s’est passé à l’école, il y a 6 ans, je vois les choses différemment aujourd’hui. Après toutes les étapes passées, je pense qu’il vaut mieux que l’enseignant dise les choses au moment où il faut les dire. Et c’est vrai qu’un enseignant n’est pas médecin. Et là, pour Clément, le problème est médical… »

 

picto_handicap2      Le témoignage de Charlotte, l’enseignante qui a accueilli l’enfant :

« Il faut rester professionnel…»

« Lorsque j’ai accueilli ce petit garçon, j’ai tout de suite perçu les difficultés qu’il fallait surmonter : ce petit criait, se jetait par terre, tapait, à longueur de journées… Pour lui, le contexte de la classe, les contraintes de la vie en collectivité, tout cela créait une immense souffrance. Et même si l’AVS qui a été recrutée était une personne très observatrice, très pertinente dans son accompagnement, la situation n’a fait qu’empirer.

La deuxième année de scolarisation de cet enfant, j’ai été inspectée. Après avoir observé mon travail, et la manière dont les choses se passaient, l’inspectrice a constaté que même avec des adaptations, même en faisant tout ce qu’il était alors possible de faire, cet enfant ne pouvait pas bénéficier d’un apprentissage, aussi minime soit-il. Son conseil était donc de déscolariser l’enfant, au moins partiellement, pour que le temps de collectivité soit allégé. L’objectif était de pouvoir lui apporter ce que nous pouvions lui transmettre, sur un temps plus court pendant lequel il aurait été plus disponible.

Il a fallu dire cela aux parents de Clément. Et je dois le dire, l’Inspectrice est venue appuyer et argumenter sa position, en réunion, avec ces derniers. Pour moi, à l’intérieur de moi, il y a eu distorsion : que ma supérieure hiérarchique valide la qualité du travail que j’avais engagé, c’était un réconfort. Mais devoir dire que ce n’était plus possible, c’était un déchirement. Je sentais que les parents me jugeaient responsables de la situation, alors que j’avais fait tout mon possible. Je me souviens des regards de cette maman.

Je suis maman, moi aussi. Quand une maman pleure en réunion, je pleure à l’intérieur de moi. Je voudrais avoir la clef pour chacun de mes élèves. Mais il faut être humble. Il y a des difficultés qui ne peuvent être éclaircies que par les spécialistes extérieurs à l’école. Alors il faut dire la réalité : dire « nous ne savons pas faire », quand c’est la réalité, pour que s’engage des démarches auprès des médecins des spécialités concernées.

Ma posture peut paraître dure, je le sais. Mais je me tiens au fait que je dois rester professionnelle. La bienveillance, la compassion, je les ressens et je les vis. Mais par moment, quand il faut parler aux parents, il faut leur dire la vérité. Alerter tôt, c’est ce donner le maximum de chances de trouver des solutions. Ne rien dire, c’est leurrer les gens. Et j’assimile cela à une faute professionnelle.

Cela étant, les doutes sont énormes. A chaque fois que je suis confrontée à ce genre de situation (sachant que celle-ci a été la plus difficile de ma carrière), je me demande si j’ai cherché vraiment toutes les solutions possibles. A chaque fois, je me demande si mon regard est juste. A chaque fois, je regarde l’enfant sur la classe, dans la cour, et il me vient l’idée que cet enfant pourrait être le mien. Ce sont des doutes et des émotions très forts. Il faut les vivre et faire en sorte de rester lucide. « Rester professionnelle », c’est une petite phrase que je me répète souvent.

Pour revenir à Clément, j’ai été profondément heureuse d’avoir, un jour, l’occasion de reparler avec sa maman. Nous avons commencé à parler de tout et de rien, et puis, après quelques minutes, je n’ai pas pu retenir ma question : « Et Clément, comment va-t-il ? ». Isabelle m’a raconté toutes les étapes. Je suis heureuse pour lui, et pour ses parents, de l’évolution de la situation, même si j’entends bien toutes les difficultés encore. Et je suis très heureuse que nous ayons renoué le dialogue. Elle sait que j’ai fait au mieux, et je comprends ce qu’elle a ressenti. Cette compréhension et le fait de savoir que mon travail a permis de faire avancer les choses, c’est apaisant. Et cela me conforte pour la suite de mon travail. »

Texte : Florence Raguenez

Illustration : Florilège  -   http://florilege6.blogspot.fr/

Burn-out : témoignages et analyses

« Le quotidien (heureux ?) des professeurs des écoles »…

A la hauteur du point d’interrogation posé, dans le titre de ce blog, se vivent des situations qui peuvent aller jusqu’à la détresse.

Merci aux 4 personnes qui ont accepté de témoigner, de façon anonyme.

La 1ère, Anne, a été une enseignante passionnée… jusqu’au burn-out. Elle raconte : d’un jour à l’autre, sans s’en rendre compte, elle a perdu pied ; et a dû changer de métier.

PICTO_SOUSX1La deuxième, aborde la fin de sa carrière en posant des mots clairs, ceux que les enseignants n’osent pas toujours dire, sur les liens entre l’évolution de la société, et la vie au sein des classes et des écoles.

Enfin, deux conseillers de terrains ont accepté, eux aussi, de témoigner : en charge de l’accompagnement des enseignants, ils constatent les évolutions du métier qui peuvent les fragiliser.

Au-delà de l’écoute de chacun, de toutes ces personnes confrontées aux difficultés du métier, se dessinent des pistes de solutions.

 

1er témoignage : Anne

« Un matin, je n’ai pas pu me lever. »

Anne a fait un burn-out il y a six ans. Enseignante enthousiaste, impliquée dans tous les projets, elle n’a jamais réussi à revenir dans sa classe. Six ans plus tard, elle a trouvé un autre travail, et peut raconter ce qu’elle a vécu. Ses pleurs, par moment, révèlent encore une douleur, comme un deuil en cours. Le deuil de son métier.

« Un matin, je n’ai pas pu me lever. C’était tout un ensemble, j’étais dans un état second. Je n’ai jamais réussi à remettre les pieds dans ma classe. C’était en mars 2011. Le médecin a mis le mot « burn-out ». J’ai pris des antidépresseurs pendant un an, jusqu’à ce que je puisse prendre ma retraite : ce jour-là, j’ai été libérée, je me suis sentie apaisée. »

Pendant cet arrêt, l’accompagnement d’un psychiatre a permis à Anne de comprendre ses angoisses. « A chaque fois que j’allais chez lui, il y a un nœud qui sautait. Mes angoisses venaient de l’école, mais elles diffusaient sur toute ma vie. Toutes les nuits, je faisais des cauchemars, je bossais jour et nuit, je n’arrivais plus à m’en sortir. Et à la maison, j’étais insupportable. Le psy m’a permis de me libérer de toutes les culpabilités que j’avais, et notamment celle d’être une mauvaise enseignante. »

Anne raconte les signes annonciateurs, et parle d’emblée d’un premier arrêt de 2 mois, pour dépression, en 2005. A l’époque, un évènement déclencheur l’avait fait basculer. « Il y avait dans ma classe un enfant autiste, au syndrome Asperger. Un jour, j’étais en surveillance de cour, et je l’ai vu à la fenêtre. J’ai eu très peur. Il n’avait pas encore d’AVS. La demande a été faite ensuite, l’AVS a été mise en place à la rentrée suivante. » Suite à cet arrêt, Anne reprend le travail à mi-temps, pendant 4 ans. « Mais je me suis rendue compte que le mi-temps , ce n’était pas mon truc. Je n’avais plus la maîtrise des projets, de ma classe. Et puis, pour des raisons financières aussi, il a fallu que je reprenne à plein temps, en 2009. »

Au fil du temps, et grâce au suivi entamé avec le psychiatre, Anne a tiré les fils du malaise qui l’a envahie, petit à petit. Il y a, d’une part, les évènements extérieurs, le comportement des autres.

Anne parle d’abord de l’attitude de certains parents. « Quand un enfant est en difficulté, on alerte. Mais ils ne veulent pas entendre. On a beau dire les choses, ils n’acceptent pas. Après coup, les choses avancent, mais sur le coup, c’est douloureux. Et j’avais l’impression de manquer de formation, pour ces enfants en difficultés. »

Plus largement, en dehors d’une situation liée à un enfant en difficultés, Anne pointe l’évolution des comportements éducatifs : « Je ne veux pas généraliser, mais c’est une situation de plus en plus fréquente : les parents lâchent prise quant aux exigences posées pour l’enfant. Les loisirs passent avant l’école : on peut avoir un élève absent, parce qu’il est allé à la fête de la musique la veille au soir. Et ils n’osent plus dire « non » à leur enfant, sans doute parce qu’ils ont peur de perdre l’amour de celui-ci. Parce que la société est ainsi : tout doit être loisirs, plaisirs, épanouissement personnel…

Paradoxalement, ils mettent de la pression pour que l’enfant réussisse, donc ils font classe à la maison. Ils n’ont plus confiance en nous, ils n’ont plus confiance dans le système. »

Autre facteur de souffrance, Anne décrit aussi le poids du travail administratif après la classe : « Les corrections, les évaluations, les préparations des cours…. Tout cela me pesait beaucoup plus que les relations parfois difficiles avec les parents et certains enfants. » Le témoignage de Madeleine  permet de comprendre la manière dont ce travail « caché », conjugué à un investissement personnel fort, envahit la sphère privée et peut ainsi participer au déséquilibre.

Cela étant, mais dans une moindre mesure, Anne souligne aussi le poids des réformes incessantes : « J’ai fini par avoir l’impression que plein de choses ne me correspondaient plus. La mise en place du soutien, par exemple : j’avais l’impression de m’acharner, avec des élèves qui n’étaient plus en état de travailler… J’avais le sentiment de suivre un mouvement auquel je n’adhérais pas, et d’être remise en cause à chaque nouvelle réforme. La dernière année avant mon arrêt, j’ai donc pris une classe en maternelle, en TPS-PS. J’ai cru que je m’y sentirais mieux, que ça allait me relancer. Mais il y avait… des évaluations ! J’avais l’impression d’être en primaire. Cela m’a dégoûtée… »

Au sein de la classe, le comportement d’un élève peut être un facteur aggravant : « La dernière année, j’avais un élève immaîtrisable. Même ses parents n’avaient pas le dessus sur lui. Ils le déposaient le matin, en nous disant qu’il n’avait pas dormi, qu’ils n’avaient pas dormi. Il écrivait sur les murs… J’étais obligée d’employer la force pour le maintenir, pour le ceinturer. J’avais l’impression d’une violence, et cela me rendait malade de penser que les autres en étaient témoins… Quel sentiment d’impuissance, par rapport aux difficultés de cet enfant ! Et puis il me pompait une telle énergie… Alors on se remet en cause tout le temps : je ne suis pas capable, je suis nulle… »

Cela étant, Anne discerne les points de jonctions entre cette réalité, et ses propres fragilités : « A l’école, j’étais à fond. Même moi, je ne me rendais pas compte de ce qui se passait au fond de moi. Dans l’équipe, on vivait une belle amitié, de la bienveillance, et j’ai beaucoup travaillé en binôme avec une amie, avec laquelle j’étais très complémentaire. Elle me portait beaucoup. On était presque en osmose, et quand elle est partie en retraite, c’est vrai que j’ai eu du mal… Au niveau de l’équipe, c’est vrai aussi que la fatigue est parfois terrible : en fin de période, en fin d’année, les gens sont parfois hyper-fatigués, très sensibles. Mais cela ne me faisait pas souffrir. En réalité, j’étais très enthousiaste, toujours partante pour les nouveaux projets. Mais c’est vrai que j’intériorise trop. J’ai envie de tout gérer, de ne pas laisser de place à l’improvisation. Il faut que les choses soient cadrées. Aujourd’hui, je comprends qu’il ne faut pas vouloir tout gérer… et en même temps, c’est ce que l’on nous demande ! On ne peut pas tout maîtriser. »

Pour retrouver confiance en elle, Anne parle d’un bilan de compétences qu’elle a effectué, pendant l’année de son arrêt de travail : « Cela m’a beaucoup aidée, parce que je me suis rendue compte que j’étais capable de faire autre chose… Le pire, c’est que les différents tests que j’ai faits ont révélé que j’étais faite pour l’enseignement ! Mais j’ai pris conscience que ce n’était plus la peine d’insister. Alors j’ai financé une formation en bureautique, et j’ai passé des concours. Aujourd’hui, je suis vraiment heureuse. Je ferme la porte de mon bureau, et j’ai fini. En classe, je ne réussissais pas à cloisonner. Je n’avais pas l’impression que c’était un travail… alors finalement, je travaillais tout le temps. Mais il faut faire la part des choses. »

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Poser les mots, et les maux, au fil des jours… Le travail effectué avec le psychiatre s’est accompagné d’écriture.

FOCUS >

« Burn-out » : sur-engagement toxique, quand le travail devient un mode de vie… PICTO_SOUSX2

« 12,6% de la population active française présenterait ces deux phénomènes provoquant un risque élevé de développer un syndrome d’épuisement professionnel couramment nommé burn out. Les agriculteurs exploitants sont ceux qui sont les plus touchés: près d’un quart d’entre eux.

…/…

Le burn-out touche aussi un artisan, commerçant, chef d’entreprise ou cadre sur cinq. «Parmi les cadres, ceux qui travaillent dans le secteur de la connaissance comme les enseignants par exemple sont les plus concernés parce qu’ils ont fait du travail un mode de vie. Pour les métiers hautement concernés par les nouvelles technologies: il n’y a plus vraiment de séparation entre la vie privée et la vie professionnelle, ce qui induit un surengagement», indique Jean-Claude Delgènes, directeur général de Technologia. Pour ce dernier, l’économie du numérique et de la connaissance et la déportation du travail font que le travail consomme du temps et évacue toutes les autres activités. «L’espace et le temps ne comptent plus, ce qui rend d’ailleurs impossible de quantifier le travail. La maladie des temps modernes, c’est le mauvais usage des télécommunications», lance-t-il.

http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/decryptage/2015/05/19/29002-20150519ARTFIG00011-burn-out-quels-sont-les-metiers-a-eviter.php

Un chiffre, pour resituer : 

« Une étude de la Dares (ministère du travail) de février 2013 a calculé le taux d'absentéisme par branche professionnelle. Ce taux est de 3,2% pour les enseignants soit moins que la moyenne nationale (3,6%). Les taux les plus élevés se trouvent dans le bâtiment ou la santé. D'une façon générale, le taux varie selon le niveau de souffrance physique ou psychologique au travail et selon la catégorie sociale. Les ouvriers sont trois fois plus absents que les cadres. Des réalités qui résistent aux leçons de morale... »

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2015/03/02032015Article635608765035810711.aspx

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2ème témoignage : Marie

 « La collectivité n’éduque pas un enfant ! »

 Marie prendra sa retraite dans un an. Son humour à toute épreuve lui permet de raconter le quotidien, sans faire de concession.

« Ce que je dois reconnaître d’abord, c’est que j’aime toujours ce que je fais, malgré les années. Et je le ressens quand je suis avec les enfants. » Enseignante aguerrie, Marie décrit cependant la fragilité de l’équilibre quotidien. « La maternelle, c’est un défi permanent : on ne sait jamais comment peut tourner la situation. C’est comme une scène de théâtre, dont on est le metteur en scène. Une scène où règnent le travail, le respect, la découverte, l’humour, le calme, le rire et la bonne humeur.»

Si l’enseignante apprécie tant de voir évoluer les enfants, de constater qu’ils s’intéressent, qu’ils sont demandeurs, qu’ils sont actifs… elle reconnaît aussi que le métier est bien plus difficile que lorsqu’elle a débuté. Précaution prise : « il ne faut jamais généraliser et ne pas idéaliser le passé ».

Quelles sont ces difficultés ?

« Il y a le nombre d’élèves dans une classe », constate-t-elle d’emblée. « Dès qu’on arrive à la trentaine d’élèves, on a du mal à s’en sortir ! » Concrètement, la vigilance pour chacun ne peut être optimale. « Il faut toujours avoir en tête que chaque enfant est différent. Et que notre priorité, c’est que les enfants soient heureux d’être à l’école. Cela aussi, c’est un défi : parce que le nombre ne participe pas au bonheur de chacun, et parce qu’on n’a pas toujours le temps et les moyens de respecter ces différences. » Sur ce point, Marie évoque le travail avec l’Asem. « Les Asem sont un des piliers de la maternelle. Et j’ai la chance de travailler avec quelqu’un d’extraordinaire, qui fait les choses délicatement, qui prend son temps, et qui sait adapter le travail que j’ai prévu s’il y a besoin. »

Deuxième grande difficulté : l’accueil et le travail fait pour les enfants qui ont un comportement perturbé.

Premier type de cas, « Les enfants qui n’ont pas de cadre éducatif ne représentent pas une majorité, mais cette minorité compte 2 fois plus que les autres, au sein du groupe classe. » Concrètement, ces enfants-là ne savent pas ce qu’est une règle (par exemple : marcher et non pas courir, écouter l’adulte et respecter une consigne donnée, même simple, comme rester assis quelques minutes). Pour eux, la découverte de la vie en collectivité, indissociable de règles nécessaires, est un choc.

Parmi ces enfants, Marie évoque aussi le cas des petits surprotégés. « C’est sans doute, en partie, parce que les parents ne font plus 100% confiance dans l’école, comme il y a 50 ans. C’était peut-être excessif à l’époque… mais c’est maintenant l’excès inverse. » Dans la foulée, elle parle aussi de la gentillesse de beaucoup de parents qui s’inquiètent pour leurs rejetons. La surprotection ne se traduit donc pas toujours par de l’agressivité vis-à-vis des enseignants… à condition de ne pas l’interpréter par un manque de confiance.

Deuxième cas de figure, parfois étroitement lié au cas précédemment décrit, Marie décrit des « situations familiales pas paisibles ». « Les gens ne s’en sortent pas, ils avouent ne pas savoir comment faire pour poser l’éducation. » Il y a alors une oscillation, comme une « affection en dents de scie », entre « une surenchère de vocabulaire affectueux, alors que l’enfant va être laissé volontairement à la garderie et au centre aéré, parce que le parent a trop de peine à s’en occuper. »

Mais sur le sujet, Marie s’insurge : « Ce n’est pas la collectivité qui éduque un enfant ! »  Et d’insister : « La collectivité à longueur de journée, c’est violent, pour un petit ! »

L’enseignante constate pourtant que l’école accueille des enfants qui ne sont pas prêts, qui viennent trop vite y vivre des journées entières. Et ce n’est pas faute d’avoir diffusé l’information : Marie sait que sa chef d’établissement met en garde les parents sur le fait que la collectivité à outrance est très difficile à vivre pour des petits. Si cela peut se comprendre pour certaines familles, qui n’ont pas d’autres choix, cela interpelle sur ce que l’on souhaite pour chaque enfant.

Troisième situation parfois difficile, certains élèves dont les parents sont séparés ne sont pas « sécurisés ». « Il y a des enfants perturbés parce qu’ils ne savent pas qui est qui, ou parce qu’il y a beaucoup de trajets à faire, quand il va voir papa ou maman… Certains parents veulent peut-être aussi compenser, le manque de présence ou la perturbation liée à la séparation, en offrant à l’enfant beaucoup de jeux, des virées au Mac Do… alors que ce n’est pas de cela, dont le petit a besoin. Et puis, ils ne fâchent pas leur enfant, parce qu’ils ont peu de temps à partager ensemble. » Cela dit, l’enseignante prend soin de ne pas généraliser : les comportements ne sont pas toujours liés à la structure parentale. « Certains enfants de parents séparés ou de parent isolé sont très calmes ! »

Autre constat, Marie pointe un autre souci également lié à l’évolution des structures familiales : « les parents de nos élèves sont désormais très souvent éloignés du reste de leurs familles. Donc le jour où l’enfant est malade, on ne sait pas où le mettre… donc on l’envoie à l’école. » Et c’est parfois une souffrance pour l’enfant que d’être obligé de vivre la collectivité alors qu’il est épuisé. « On voit aujourd’hui, quand les gens viennent chercher leur enfant, des parents qui attendent dans le couloir, parfois à la queue leu-leu… Il y a des familles qui ne parlent à personne. Il y a du mal-être dans tout cela, un manque de relations humaines. »

Cela étant, Marie observe, mais ne juge pas. « Le métier de prof’ des écoles et le métier de parents, c’est bien différent. Il y a des parents qui pensent que nous les jugeons. Ce n’est pas le cas. Mais il faut rappeler des choses de bon sens. Et notamment, que ce qui est interdit aujourd’hui, est interdit demain !… Une règle posée, avec bienveillance, doit être respectée. »

Marie n’enjolive pas le quotidien, et vit cependant sereinement son évolution. Comment réussit-elle ? « Le fait d’aimer son métier, fait que l’on essaye toujours de trouver des solutions. Le but du jeu, c’est de montrer à chaque enfant que l’on attend de lui des choses positives. Il faut essayer de trouver pour chacun la meilleure manière de faire… même si ce n’est pas toujours facile. Et c’est à nous, de l’aider à trouver du positif dans ce qu’il est. »

Pour ce qui est des enfants au comportement compliqué, entre fermeté et souplesse, le bon dosage est souvent difficile à trouver. « Il faut trouver des solutions, sinon ils peuvent faire tourner la classe en vrille. Mais il ne faut pas non plus se focaliser sur eux, pour ne pas pénaliser les autres, pour ne pas s’épuiser nerveusement, et pour avancer doucement avec l’enfant qui a des problèmes. »

Pour tout cela, Marie insiste sur la nécessité d’utiliser des mots justes. Et parmi eux, elle cite le mot et la notion de « respect ». « Jeter de la nourriture à la cantine, ou ne pas écouter l’enseignant, tout cela, c’est un manque de respect. » Une posture essentielle qui doit se décliner à tous les niveaux, y compris entre les adultes qui oeuvrent pour les enfants.

 

FOCUS >

Evolution des familles : sans idéaliser le passé, quels impacts sur les enfants d’aujourd’hui ?

Une émission très intéressante, l’analyse de Serge Hefez, psychanalyste et thérapeute familial et conjugal  >

http://www.franceculture.fr/emissions/l-invite-des-matins/histoires-de-familles?xtmc=évolution de la famille&xtnp=1&xtcr=7

Cliquer sur « L’histoire des familles, l’invité des matins » 16 mn


ANALYSE > 

Les évolutions de la société questionnent le sens du métier

Ils ont à leur actif des années d’expériences en tant qu’enseignants et chefs d’établissements. Aujourd’hui conseillers auprès de professeurs des écoles, Nathalie et Pierre témoignent.

Avant toute chose, le mot « burn-out » doit être précisé : « Il y a des enseignants qui ne sont pas en arrêt, mais qui sont en grandes difficultés dans le métier. Ces grandes difficultés sont liées soit à la pratique professionnelle, avec une gestion de groupe qui va impacter petit à petit le personnel, soit à des problèmes personnels qui impactent le professionnel… et c’est la spirale descendante. Et leur situation ne s’améliore pas, même en changeant d’école », constate Nathalie. La souffrance peut donc être discrète ; elle n’en n’est pas moins là.

Autre constat, les jeunes professeurs sont touchés, eux aussi. Un focus déjà publié dans ce blog mentionnait le phénomène (focus diffusé à la fin de témoignage de Madeleine). Et Nathalie de préciser : « On peut avoir passé tous les filtres pour exercer, mais l’idée que l’on s’est faite du métier est décalée de la réalité. » Phénomène dont l’ampleur interpelle : les conseillers estiment à environ 10%, le nombre de jeunes enseignants en souffrance face à la réalité du métier.

Mais quelle est cette réalité, qui fait aussi partir en vrille des enseignants expérimentés ? Pierre et Nathalie listent, point par point, ce qu’ils constatent, et ce pour quoi ils essayent de trouver des solutions.

Premier axe de difficultés, le travail en lui-même. « Dans ce métier, l’étendue des possibles est infini », résume Pierre. Dans ce registre, en plus de l’ampleur du travail de préparation, de corrections, et les incessantes réformes, Nathalie pointe les effets induits de la différenciation pédagogique : elle peut aussi ne jamais avoir de limite. « A force de différencier pour chaque élève, on peut travailler toute la nuit ! »

PICTO_SOUSX1De fait, les perfectionnistes peuvent s’y perdre : «L’étendue des tâches à assurer est peut-être devenue trop large… Alors à force de vouloir faire tout, très bien, on ne peut pas tenir », constate Pierre.

Résumons le cercle infernal : travail jamais terminé, envahissant la sphère privée, heures de sommeil réduites, difficultés de gestion de classe, difficultés à prendre du recul sur les stress du quotidien, dégradation de l’image que l’on a du métier, dégradation de sa propre image… Comment rompre la boucle ? La solution devrait passer par une forme de lâcher-prise, à bon escient : s’octroyer des temps de pause, quitte à ne pas avoir tout fait parfaitement, pour ensuite pouvoir discerner l’essentiel de ce qui l’est moins.

Et toujours dans le sens des attentes qui pèsent si lourd sur les épaules des enseignants, Pierre pointe l’une des conséquences de la loi 2005, pour l’accueil des élèves à besoins éducatifs particuliers. « Cette loi n’a pas été accompagnée des moyens nécessaires ». Anne, dans le premier témoignage ci-dessus, raconte les souffrances qui s’en suivent : les professeurs accueillent des élèves à besoins particuliers sans être formés pour cela, mais tout en recevant le message que c’est à eux d’agir pour l’enfant accueilli : quant aux parents, ils attendent que l’enseignant réussisse à faire progresser leur enfant. De fait, le sens du métier, qui est d’accompagner l’enfant dans ses apprentissages et dans son épanouissement, s’en trouve profondément mis à mal.

Deuxième axe de difficultés, « Les repères familiaux ont changé », résume Nathalie. «  Et dans le même temps, l’école est un sanctuaire qui ne bouge pas », résume Pierre. Pour compléter tout ce qui a été relaté dans les témoignages précédents, et qu’ils confirment, les conseillers osent parler d’un problème de plus en plus fréquent : le manque de repères éducatifs. Les horaires de coucher, les repas pris en famille, ne sont pas toujours des « points d’ancrage » posés pour le bien-être de l’enfant. Et au-delà de cela, la permissivité excessive, qui peut notamment aboutir à un temps passé sur écrans non limité (et parfois au visionnage d’images pornographiques), est une autre évolution constatée. De fait, les comportements sur les cours d’école s’en ressentent. Et font l’objet de procédures. Fait révélateur : le mot « harcèlement » est de plus en plus rapidement utilisé, de la part des familles. Au milieu de tout cela, les enseignants et l’école se sentent pris en défaut, veulent « apporter une réponse éducative »… et se trouvent fragilisés.

De fait, l’évolution de la société aboutit à une distorsion. Pierre : « Contrairement à autrefois, les jeunes parents ne font pas confiance. Il y a notamment, par exemple, une différence entre les attendus des parents sur la pédagogie, et la réalité : les jeunes parents imaginent souvent une école comme autrefois, car la méthode transmissive les rassure ! Et il y a, aussi, une différence entre les attendus de l’enfant, qui aimerait bien apprendre sur une tablette, et la réalité de la classe. » Question de fond : dans cette relation triangulaire parents-enseignants-enfants, qu’est-ce que chacun attend de l’autre ?

Troisième axe de difficultés, les conseillers pointent deux spécificités du métier. La première, est liée à une évolution rapide du rapport au temps, et à la localisation : Monique l’exprime dans son témoignage :les enseignants d’autrefois habitaient la commune et ne comptaient par leurs heures de présence dans l’école. La reconnaissance ressentie, à l’époque, équilibrait l’investissement à sa hauteur. Ceux d’aujourd’hui habitent souvent loin de leur établissement : la famille, les grands-parents, étant éloignés, les enseignants sont comme tous parents, pressés par le temps pour leur propre famille. « Et les 108 heures appliqués en 2008 ont instauré une logique comptable du temps de travail, sachant que les 4,5 jours en ont rajouté. » Logique comptable qui ne peut avoir de sens lorsque l’on prend en considération les heures de travail « cachées », évoquées dans le témoignage de Claire. Encore une fois, l’évolution du métier questionne le sens qu’on lui confère.

Pierre pointe également une seconde spécificité, « liée au fait qu’un professeur des écoles est l’unique enseignant, pour chacun de ses élèves, tout l’année ». C’est un facteur de fragilité. Pour solutions, les liens avec l’extérieur de la classe sont autant de points d’appuis : liens aux collègues, liens aux enseignants spécialisés, liens aux professionnels spécialistes (psychiatres et psychologues, orthophonistes, psychomotriciens, etc.), permettent de partager les questions, trouver des solutions, donc résister aux difficultés. « Instit’, c’était un sport individuel ; prof’ des écoles, c’est un sport d’équipe », résume le conseiller. Mais la peur d’être jugé peut empêcher cette ouverture. « Parfois, l’enseignant voit que d’autres s’en sortent bien, que la classe d’à côté est mieux. Il s’enferme,  n’ose pas en parler, et l’écart se creuse… »

Toutes ces évolutions questionnent le sens du métier. Comment maintenir le cap, si l’on n’a plus la confiance des parents, si les repères éducatifs transmis à l’école ne sont plus ceux qui fédèrent les familles ? Comment résister, si les textes et les contraintes se surajoutent les uns aux autres et changent régulièrement ? En résumé : comment faire, en tant qu’enseignant, pour continuer de croire au sens de son métier ? Aux réponses déjà dégagées précédemment par toutes les personnes qui témoignent dans ce blog, les deux conseillers ajoutent : « Une vraie piste pourrait consister à repositionner l’école dans la relation aux familles, pour créer une relation de confiance. Il faut imaginer des idées nouvelles pour cela : des idées pour expliquer et valoriser ce que l’on fait, ce que l’on attend en termes d’accompagnement à la scolarité, anticiper sur les craintes, prévenir… Mais cela implique d’avoir de la confiance en soi, et une parfaite maîtrise du métier, parce que faire tout cela, c’est aussi s’exposer. » Un travail de communication, d’information, au vrai sens du terme.

Texte et photo : Florence Raguenez

Conception des visuels : http://florilege6.blogspot.fr/

Initiative originale : quand les parents s’occupent de tout !…

« Les petits pâtissiers » : c’est le thème de deux demi-journées renouvelées chaque année, dans cette école maternelle constituée de 4 classes, 126 élèves, à une centaine de kilomètres de Rennes. Ici, pour cette action, une spécificité : aucun enseignant n’est présent dans la pièce ! Mais le lien entre l’école et les familles n’en n’est pas moins tangible pour autant.

Aujourd’hui, fin avril, 12 parents sont au travail, dans une pièce entièrement consacrée à l’évènement, au sein de l’école. A tour de rôle, par groupe de 10, les élèves de tous âges (entre 3 et 6 ans) sont pris en charge par trois parents. Objectifs : créer du lien ; et concocter 40 gâteaux pour une vente au bénéfice d’une association pour enfants handicapés.

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La présidente de l’Apel de l’école, Samia, accompagne un petit groupe d’élèves.

« C’est l’équipe de l’APEL qui se charge de tout », explique Samia, la présidente de l’association de parents (photo ci-contre). Les aspects logistiques représentent « beaucoup de travail » : les recettes choisies, les quantités, les achats, l’information pour inviter les parents à participer.

Dans cette école, comme dans beaucoup d’autres, plusieurs occasions permettent aux parents de participer à la vie de l’école. Matinée « travaux », journée « Petits artistes » (proche du concept d’un reportage déjà publié), existent aussi, et depuis quelques années. Mais cette journée-ci a une spécificité : les parents ont la charge de tout le travail, et aucun enseignant n’est présent dans la pièce.

« Il y a beaucoup de rires, et c’est l’esprit de notre association : réunir des gens différents », explique Samia. « Pour cela, nous avons aussi créé un « café parents », chaque veille de vacances, le matin. Nous faisons cela dans le hall, pas dans les classes : c’est un lieu informel, et nous allons à la rencontre des parents. La première fois, les gens étaient hésitants, ils n’avaient pas le temps. La deuxième fois… on n’avait plus de place pour accueillir tout le monde ! »

A la question de savoir si ces initiatives contribuent au lien parents-enseignants, la présidente répond : « Nous sommes sur le volet convivial, pas éducatif. Nos initiatives ont pour effet de nous mettre à l’aise dans la communauté de parents. Mais elles ont un côté « superficiel », donc je ne sais pas si cela aide les échanges. Je ne sais pas si cela aide les parents à être à l’aise avec les maîtresses. »

Cela dit, à observer les visages des enfants, il est évident que cette initiative participe à leur bien-être en tant qu’élèves : pour eux, constater concrètement la présence des parents au sein de l’école a du sens. Et s’ils sont encore trop petits pour le dire, quelques photos valent mieux qu’un long discours…

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Une maman qui entre dans l’école pour « faire » avec les élèves : le lien parents-école se construit petit à petit, grâce à des moments comme celui-là.

 

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Instant suspendu… et magie de l’organisation : les adultes supervisent, mais ne font pas « à la place de ». L’enfant de 3 ans participe, réussit, sous le regard attentif des « grands » de 5 ans. Bonheur de chacun !

 

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12 parents, répartis pour guider 4 groupes de 10 élèves de maternelle ; et les ateliers tournent au rythme de la matinée. On rit… on papote… et on s’active !


Témoignages de parents

Emmeline, maman de 3 enfants, TPS, MS et un nouveau-né d’un mois.

« Je suis engagée dans l’Apel, et j’ai des disponibilités parce que je ne travaille pas en ce moment… donc j’en profite pour donner un coup de main. Et c’est une attente de la part de mes enfants. Ce que je découvre, avec cette journée, c’est la « discipline » qui existe (les enfants suivent très bien leur groupe), et le bruit. On se rend compte de la fatigue que cela génère… »

Fernand, papa de deux enfants, en PS et en GS.

« C’est la première fois que je participe ! Je me sens un peu seul en tant que papa !(dit-il avec le sourire !)… C’est super sympa pour les enfants, et pour nous, d’être ensemble pour cuisiner. J’ai fait le lycée hôtelier, et je travaille en restauration. Les lundis et les mardis sont mes jours de repos. Donc j’étais disponible aujourd’hui ! Ce qui est bien, pour les enfants, le fait que les parents soient là. Pour nous, ça nous fait rencontrer d’autres parents, et c’est très sympa. Parce que sinon, je n’ai pas le temps… »

Magali, un enfant en TPS, un autre en crèche.

« Ce que je découvre aujourd’hui, c’est la relation des enfants au sein des groupes : l’apprentissage de la vie en groupe, le fait d’apprendre à attendre son tour… C’est vrai DSC_0646que tout cela, ça s’apprend pendant les 1ères années d’école. Pour ce qui est du bruit, il ne me dérange pas : c’est un brouhaha… Mais je ne suis pas étonnée que cela fatigue les enfants. Et on nous l’a bien expliqué, en début d’année, pour l’entrée à l’école : les journées entières sont très fatigantes, notamment à cause du bruit. »

Sarah, maman d’une élève :

« Une matinée comme ce matin, on se sent inclus dans les activités : les parents font partie de l’école, presque autant que les enfants ! Je suis là pour être avec ma fille… »


DSC_0697Le regard de Nathalie, chef d’établissement :

« Ces demi-journées « Petits Pâtissiers » existent depuis au moins 15 ans…Et les parents y tiennent beaucoup. L’action est tellement bien rôdée qu’elle perdure, même si les équipes Apel se renouvellent. Ce que je trouve intéressant, c’est bien sûr que cela participe au lien et à la confiance entre les parents et l’école. Et ce qui est spécifique à cette action, c’est la confiance accordée, aux parents, de façon implicite, puisqu’ils gèrent seuls non seulement toute l’organisation, mais surtout tout le travail avec les enfants. Ce que j’aime bien, aussi, c’est que ce ne sont pas forcément des membres actifs de l’Apel qui s’engagent sur ce deux matinées. Et ce ne sont pas non plus les mêmes parents que ceux qui viennent aux autres actions, comme aux « Petits artistes ».

Du côté de l’équipe enseignante, quand il y a des nouveaux, ils ont parfois un peu de mal à accepter l’idée de laisser partir leurs élèves sans avoir de regard sur ce qui se passe pendant l’atelier cuisine. C’est vrai aussi qu’il y a un calage à faire entre parents et enseignants pour que tous les enfants partent par petits groupes, en mêlant les âges… Ensuite, les nouveaux enseignants font confiance, ils voient que tout fonctionne parfaitement bien… Et ça roule ! C’est vrai qu’il y a des actions qui peuvent déstabiliser, parce que cela change les habitudes : on chamboule l’organisation de la classe. Mais tout le monde participe, et en retour, il y a tellement de retours positifs ! »

Merci à cette école (parents et équipe enseignante), pour la confiance accordée, et pour tous ces témoignages.

Texte et photographies : Florence Raguenez

 

Dialogue parents-enseignants : un nouveau prof’ est nommé dans l’école…

Suite de la rubrique : "dialogue parents-enseignants : blocage et témoignages"... Après le premier cas (une répartition d'élèves en classe double-niveau), voici une autre situation parfois problématique : 

un nouvel enseignant est nommé dans l’école.

Une nouvelle fois, je fais le choix de recueillir le témoignage d’une maman et d’un enseignant qui ont réussi à instaurer un dialogue confiant. Leur expérience donne des pistes transposables. Merci à eux.

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Témoignage de la Maman de Tifenn.

« Tifenn n’aime pas le changement. Pendant ses années de scolarité, en primaire, elle a eu trois fois des suppléantes pour les congés maternité de ses maîtresses. Et cela s’est parfois mal passé : elle se mettait à paniquer au moment des évaluations, les notes passaient d’un extrême à l’autre. Et son comportement changeait aussi. Alors, ce qui nous a inquiétés, c’est peut-être moins l’arrivée de quelqu’un de nouveau de l’école… que le départ de l’ancienne maîtresse, qui était très compétente. Pour tout dire, nous avons déménagé l’an dernier, mais nous avons fait le choix d’inscrire malgré tout notre fille dans la même école, quitte à faire les trajets, pour qu’elle soit avec cette maîtresse en CM2, qui est partie.

Alors, oui, on a été déçus et inquiets de savoir qui la remplacerait.

De ce fait, nous avons eu un entretien avec l’ancienne enseignante. Elle nous a dit qu’elle laissait tous ses dossiers au nouveau venu, et un petit bilan concernant notre fille. Mais elle nous a dit aussi qu’il n’avait pas tout à fait les mêmes méthodes qu’elle. Aujourd’hui, nous comprenons… mais sur le moment, ça nous a un peu inquiétés.

Quant à la chef d’établissement, elle nous a rassurés en nous disant qu’il avait déjà enseigné deux ans avec des CM. Et elle nous a dit qu’il fallait faire confiance.

De toutes les façons, on s’était mis d’accord avec la maîtresse précédente : on savait qu’on prendrait rapidement rendez-vous avec le nouvel enseignant, dès le début de cette année, pour faire le point.

Et puis je reconnais que j’ai fait la démarche de téléphoner à une autre école… au cas où, pour prendre rendez-vous. Mais la décision de maintenir l’inscription de Tifenn s’est prise rapidement, et pour plusieurs raisons différentes, notamment pour l’organisation familiale.

A la rentrée, nous avons donc rapidement pris rendez-vous. Paul, l’enseignant, nous a écoutés, et il a su nous rassurer. Il avait bien reçu les consignes de sa collègue, et il les avait bien intégrées. Il nous a dit qu’il allait en tenir compte, et comment il allait procéder. Il s’est montré très ouvert.

De côté de notre fille, elle s’est très vite adaptée. Il est rigoureux, et il a su trouver la méthode pour se faire respecter, en faisant passer les apprentissages. Tifenn a adhéré à son style : elle est très épanouie, elle a pris de l’assurance ; elle a du plaisir à aller à l’école, et elle aime beaucoup son maître. Et quand on a vu les premiers résultats d’évaluations, on s’est dit : ça roule !

Maintenant, il reste la question de la préparation à l’arrivée en 6ème. Avec la précédente enseignante, on savait que la transition se passait bien. On verra l’année prochaine… »

 

Témoignage de Paul, l’enseignant.

« Ce poste est mon premier poste en tant que titulaire, et c’est la première fois que j’enseigne en milieu rural. D’emblée, je sais et je comprends le manque de confiance que les parents peuvent ressentir. Il est légitime. Donc je pars du principe que ce n’est pas une question de personne, vis-à-vis de moi. Je me protège aussi en me disant que le temps va faire les choses. Il faut dire aussi qu’avant d’être enseignant, j’ai voulu travailler en sociologie de l’éducation, sur la relation famille-école. Ce que j’ai appris pendant mes années d’étude sur ce sujet m’aide beaucoup, aujourd’hui, à réfléchir sur le métier et à ce que l’on peut appeler des « instants de communication » avec les parents.

Avec Tifenn, en l’occurrence, je savais que la petite avait un stress lors des évaluations. Lors de la rencontre avec les parents de la classe, lors de la première réunion mi-septembre, j’ai éludé pas mal de questions concernant le suivi des programmes. Malgré tout, lorsque j’ai rencontré les parents de cette élève, mi-octobre, ils m’ont dit qu’ils étaient anxieux pour leur fille. Et d’une certaine façon, ils m’ont dit qu’il ne fallait pas que je me plante ! Dès le début de l’année aussi, la maman m’a interrogé sur les créneaux horaires consacrés au sport. J’ai répondu que les créneaux horaires sont préétablis. Et puis j’ai constaté qu’elle avait corrigé le cahier de sa fille, une fois, parce que j’ai une classe double-niveau, et je corrige chacun une semaine sur deux. Cela dit, je me répète, pour moi, ce manque de confiance pour un nouvel enseignant est légitime.

Lorsque nous nous sommes rencontrés, l’objet était bien le stress de leur fille. Les parents ont commencé à me dire que Tifenn est très timide. De mon côté, j’ai valorisé son parcours, tout ce qu’elle réussit bien en classe. Mais ils revenaient beaucoup sur les difficultés de leur fille. Ils pensaient qu’elle avait besoin du temps de soutien scolaire, alors que ce n’est pas le cas. Au final, je pense que ce rendez-vous a été important pour dire que tout se passe bien. L’échange a été fructueux, je pense. J’ai fonctionné par item : on a abordé le ressenti des parents, vis-à-vis de l’épanouissement de leur fille en tant qu’élève, et les aspects scolaires. »

> L’analyse de la situation :

Merci aux médiatrices de l’Apel 35 pour ce jeu de « regards croisés » : je pose mon regard d’enseignante (en vert) ; elles posent leur diagnostic, en référence aux cas similaires qu’elles rencontrent.

* côté enseignants :

la passation des informations entre collègues permet au nouvel enseignant d’accueillir au mieux l’élève ; les parents sentent ce lien, qui participe à l’instauration de la confiance. Pour les parents, c’est très positif : il y a individualisation de l’élève, prise en compte de chacun.

l’écoute, sans jugement, s’accompagne d’une volonté de rassurer : Paul a écouté les questions, et répondu précisément. Neutralité et bienveillance.

une posture : Paul situe le manque de confiance comme « légitime », « non lié à sa personne. » En restant dans le champ professionnel, il fait en sorte de ne pas douter de lui-même. L’enseignant n’est pas déstabilisé, il est en capacité d’accueillir les réticences manifestées de prime abord par les familles.

* côté parents :

les parents interviewés disent clairement qu’ils n’ont pas confiance (en début d’année), mais ils ne désapprouvent pas le travail fait. En d’autres termes, ils n’ont pas de défiance. Ils questionnent, simplement, les choix, la méthode, dans l’objectif de comprendre pour être rassurés. Cette maman, qui témoigne, montre l’importance de l’investissement parental, sans tomber dans le « surinvestissement » du suivi de la scolarité.

ils observent d’abord et avant tout le comportement de leur fille : elle s’épanouit, elle va bien, et cela les rassure.

ils savent dire que les choses vont bien ; ils savent changer de point de vue. Le dialogue a permis l’instauration de la confiance.

L'avis d'expert" de l'Apel 35 > des clefs pour instaurer le dialogue dans cette situation :

Côté parents :

– Laisser une période « d’accoutumance » à chacun pour prendre ses marques: élève et enseignant.

– Se dire que pour préparer le changement et favoriser l’adaptation vers le collège, l’élève doit aussi s’habituer à changer d’enseignant au cours de sa scolarité.

– Etre attentif à ne pas projeter sur son enfant de l’anxiété et des craintes qui ne sont pas toujours fondées.

Côté enseignants :

– Rassurer la famille et prendre en compte la personne de l’élève.

– Se conforter en tant que professionnel et réconforter la famille sur la méthode pédagogique choisie

L’expression à retenir et l’attitude à favoriser : les « instants de communication » avec les parents.

Création du visuel : Florilège – http://www.florilege6.blogspot.fr/

Rédaction : Florence Raguenez

Dialogue parents-enseignants : problème de répartitions d’élèves…

Dialogue parents-enseignants : situations de blocage et témoignages

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Traiter de la relation parents-enseignants me semble une évolution naturelle de ce blog : avoir pour objectif de mieux faire connaître le métier vise aussi à faciliter le lien entre les adultes qui œuvrent autour de chaque enfant. Je m’aventure cependant dans ce nouveau sujet avec prudence. Car si la pédagogie s’appuie sur des techniques, les relations humaines s’expliquent, certes, mais se lient souvent au-delà des mots.

Formidable constat : au hasard des rencontres, et grâce à une association de parents d’élèves qui a relayé ma proposition, quelques parents et quelques enseignants m’ont dit leur envie de témoigner d’une situation de dialogue d’abord tendu, puis dénoué. Et comme vous pourrez le découvrir au fil des témoignages à venir, ces expériences sont transposables ; elles peuvent donc aider à dédramatiser des incompréhensions que l’on pense isolées, individuelles.

Pour les témoignages qui suivent, et au fil des situations qui seront évoquées dans les mois qui viennent, je vous propose une nouvelle déclinaison. Les propos du parent seront distincts de ceux de l’enseignant : chacun explique pourquoi le dialogue s’est rompu, et comment et à quel moment il s’est renoué. Certains mots peuvent être durs, et je ne les lisserai pas : ils révèlent la force de l’émotion ressentie. De fait, ces témoignages seront anonymes –mais parents et enseignants témoins se connaissent-. A la suite de ces témoignages, les médiatrices de l’Apel 35 poseront quelques mots pour donner du champ à chaque situation et et dégager des clefs transposables.

                        Un très grand merci à chacun pour la confiance accordée.

                                                Et bonne lecture à vous lecteurs !

                                                                          Florence

Situation – problème numéro 1 : répartition d’élèves dans une classe double niveau.

Résumé de la situation : un groupe de CE2 est divisé en deux : 18 élèves sont dans une classe de CE2 – CM1 ; les 6 autres sont intégrés dans une classe de CE1-CE2, avec Anne pour enseignante.

Témoignage d’Anne, enseignante, chef d’établissement.

« On savait que forcément, ce serait un sujet compliqué »

picto_rencontre2« Cette année, la répartition des élèves a été un sujet particulièrement compliqué. D’une part parce que nous n’avions que des cours uniques l’année précédente, mais aussi parce qu’il a fallu séparer un groupe de CE2, et un groupe de Grande section en 4 groupes, du fait de notre fonctionnement sur deux écoles en regroupement pédagogique. Après 3 mois de réflexion en équipe, on a statué.

9 mois après, j’ai encore exactement en tête les effectifs, les arguments, et notre cheminement pour prendre notre décision. Nous avons pensé en termes de besoins pédagogiques pour chaque élève, mais aussi en termes de camaraderies, et aussi en termes d’équilibre de classe… mais on savait que, forcément, ce serait un sujet compliqué avec les familles.

Nous avons donné la répartition, un vendredi soir, début juin. Dès le lendemain, j’ai reçu un mail d’une maman : mail très cordial, mais qui s’inquiétait d’un double niveau. Une autre maman, Me XX (qui témoigne ci-après), est venue me voir directement, et le rendez-vous a été fixé entre elle, son mari et moi, rapidement. C’est une maman très cordiale, très ouverte, mais j’ai senti un froid… Pendant l’échange avec ces deux parents, j’ai fini par dire que je pouvais aussi entendre leur crainte comme un manque de confiance vis-à-vis de mon travail. Je pense que c’est un argument qui a porté. Au fond, j’ai compris que ce n’était pas cela le problème, mais moi je pouvais l’entendre comme ça aussi !

Je les ai rassurés, aussi, parce que leur enfant est un enfant « moteur » dans le groupe classe. J’ai expliqué que ce serait bien pour lui, qui est réservé, d’être dans ce petit groupe, parce que je serai plus avec chacun d’entre eux. J’ai aussi bien expliqué le pourquoi de cette répartition, en listant les différents critères, et en expliquant que c’est une décision collective réfléchie.

Pendant ce rendez-vous, j’ai senti que les choses s’apaisaient. Je n’ai sans doute pas eu réponse à tout… mais je crois qu’il y a eu une écoute réciproque. Et puis, j’ai expliqué au mieux, et je leur ai demandé de me faire confiance. Pour autant, j’ai été sur le qui-vive jusqu’à la réunion de parents. Ce soir-là, j’ai senti des acquiescements, même si notre organisation de réunion n’était pas parfaite. Avec ma collègue, nous avons pensé que ce serait bien de faire une seule réunion pour tout ce groupe de CE2. Or nous n’avons pas le même fonctionnement… Nous avons voulu montrer que nous travaillons ensemble… mais ça été un « flop » de notre part ! Dès le lendemain, j’ai envoyé un mail aux parents, pour leur dire que l’on peut les rencontrer individuellement.

Personnellement, je reconnais que ces difficultés autour de la répartition des élèves m’ont perturbée, une nuit ou deux. Mais j’ai appris à prendre du recul, avec ma fonction de chef d’établissement. Ce qui m’aide à relativiser, c’est le fait que cette décision soit réfléchie, appuyée et approuvée par toute l’équipe. Donc je sais que notre proposition est justifiée. Et puis j’ai senti le rôle de l’Apel, l’association de parents. Ils ont su dire autour d’eux que l’on pouvait nous faire confiance. Cela dit, je pense que certains parents sont encore un peu en retrait. Mais je ne sais pas pourquoi. Ce n’est peut-être pas à cause de cette répartition.»

 Témoignage de Véronique, maman d’élève.

« On a d’abord été en colère… et puis on s’est dit qu’il fallait trouver du positif pour notre fils…»

picto_rencontre« Lorsque nous avons reçu la répartition des élèves, début juin et un vendredi soir, on l’a d’abord relue deux fois. On a été un peu surpris de l’avoir aussi tôt, parce que ce n’était pas comme ça les autres années. Et puis, les deux écoles du RPI (regroupement pédagogique) n’ont pas présenté les répartitions de la même manière… donc on s’est questionné, en se demandant s’il n’y avait pas une erreur. Et puis là, mon mari et moi, on a vu que notre fils se retrouvait dans un tout petit groupe : 6 élèves de CE2, avec des CE1, en restant avec la même enseignante que l’an dernier. Alors que les autres élèves de CE2 partaient en CE2-CM1.

On n’était pas content du tout ! En plus, les enfants avaient compris qu’ils seraient tous dans la même classe, avec une autre enseignante. Et puis, quand on avait fait le point avec l’enseignante en cours d’année, elle nous avait dit qu’il n’y avait pas de souci. Donc pourquoi le laisser avec les CE1, alors que quasiment tous les autres CE2 allaient avec des CM1 ?

On a maudit l’école, on était en colère… On a appelé les parents des copains de notre fils, et on était remontés à bloc. Après coup, je crois qu’on s’est un peu monté le bourrichon ! On trouvait ça pas normal, et pas sympa, parce que nous avons su, aussi, faire des efforts à d’autres moments. Par exemple, il y a quelques années, on a accepté que notre enfant soit scolarisé dans l’autre école du RPI pour arranger les répartitions, quitte à faire les trajets pendant 3 mois parce qu’à l’époque il était trop jeune pour prendre le transport scolaire. On a eu l’impression d’avoir rendu un service, et qu’il n’y a pas de retour.

Pour tout dire, du vendredi soir où on a reçu la répartition, au samedi soir, on a vu que le négatif. Il faut dire aussi qu’on avait entamé un suivi psychologique pour notre enfant, qui manquait de confiance en lui. On a eu peur que le fait de rester dans la même classe, avec la même enseignante, lui fasse à nouveau perdre confiance.

Et puis, le dimanche, une autre maman nous a transféré un mail qu’elle avait envoyé le samedi matin, et la réponse de l’enseignante : on a compris que la répartition ne changerait pas… Alors on s’est dit qu’il fallait absolument qu’on y trouve quelque chose de positif pour notre fils, pour ne pas le mettre en difficulté. En fait, on a essayé de contrebalancer notre raisonnement pour trouver tous les points positifs.

Les choses ont évolué dès le lundi. Du côté des enfants, Anne a pris un temps pour expliquer les choses, pour dire que ce n’était pas un « redoublement »… Et puis nous, adultes, nous avons eu un rendez-vous rapidement, puisqu’il était déjà fixé avant pour faire un point. On lui a dit : « Heureusement qu’on a eu le week-end pour se calmer, sinon on vous aurait incendiée ! On a eu le temps de se mettre en colère, et de se calmer. » On a dit notre colère, notre incompréhension, notre sentiment d’injustice. Et ça a été un échange très libre avec elle. On a listé toutes les inquiétudes qu’on avait. Elle a bien écouté toutes nos craintes, et elle nous a tout expliqué, et vraiment, notre incompréhension s’est calmée pendant cette discussion avec elle.

On lui a dit : « On fait le choix de vous faire confiance. » On s’est sentis écoutés, donc on s’est dit qu’elle allait tenir compte de ce qu’on avait dit. Cela nous a rassurés, apaisés.

Je dois dire aussi que toutes nos réflexions, nos coups de colères, mon mari et moi, on les a eus quand notre enfant ne pouvait pas nous entendre. Aujourd’hui, il n’a entendu que du positif sur cette répartition. Donc lui, il en parle en positif. Mais je dois dire aussi que j’ai entendu une autre maman dire que le groupe de 6 est un groupe en difficultés. Et là, moi et d’autres mamans, on a réagi, pour resituer.

Aujourd’hui, évidemment, on discute de tout cela avec des amis. Et on constate que les élèves apprennent la même chose dans les deux classes, mais que la façon de travailler est parfois différente. Et le groupe de copains n’est pas cassé, parce qu’ils se retrouvent en récréation. Donc tout se déroule bien. Et puis il y a un bon dialogue avec l’enseignante, donc on peut se dire les choses. »

Avis d’expert > relecture de la situation par les médiatrices de l’Apel 35.

« Cette situation est typique des cas de blocages que nous pouvons aider à résoudre. Voici donc quelques clefs de compréhension transposables à toute situation similaire. L’objectif étant d’analyser ce qui crée le blocage, et de penser dans l’intérêt de l’enfant.

Aux parents, nous conseillons :

Chacun a le droit de manifester une incompréhension ou une colère, mais il faut tout faire pour analyser ces émotions qui quelquefois déforment la réalité et dramatisent la situation au-delà du raisonnable. Pour cela, nous posons les questions suivantes : est-ce l’enfant qui exprime des craintes légitimes… ou est-ce la famille qui exprime des réticences ? Dans ce cas, sur quoi sont-elles fondées ? Et vis-à-vis de qui ?

– Nous conseillons toujours de se recentrer sur la situation qui fait nœud : pourquoi à un moment donné, un sujet simple est devenu « un sujet compliqué » et source de tension entre école et familles ?

– Il faut faire en sorte d’estimer et de réajuster l’ampleur des projections parentales sur l’enfant -parce que dans le fond, les parents veulent bien faire et accompagner leur enfant le mieux possible dans sa scolarité-.

– Pour finir, nous répétons à tous les parents qu’il faut accorder sa confiance à l’école qui met tout en œuvre au service de chaque élève

Nous conseillons aux enseignants

– …d’expliquer les raisons de ce choix de répartition qui ont été pensées et élaborées par l’équipe pédagogique selon des critères précis et non aléatoires. Ne pas chercher à tout justifier pour autant : une répartition est un acte posé et réfléchi sur lequel on ne revient pas. Et il est intéressant de s’appuyer sur un exemple similaire qui fonctionne très bien dans une autre école.

– De rassurer la famille et l’enfant, et de permettre aux parents de prendre conscience (chacun dans son rôle), que l’enfant est prêt à ce changement qui n’est pas du tout vécu comme une sanction. Il peut d’ailleurs être intéressant de l’interroger, si besoin, sur ce qu’il pense et ressent.

Aux parents et aux enseignants :

Nous conseillons de mettre des mots sur le ressenti de chacun, afin d’ouvrir un espace de dialogue pour que les choses se « dégonflent », pour parvenir à dire les choses en toute sincérité, sans jugement, sans agressivité.

Dans le témoignage ci-dessus, la situation s’est dénouée car :

la famille et l’école sont parvenues à établir ou renouer un dialogue, à entendre les arguments réciproques, à mettre de la confiance dans le discours et à laisser la responsabilité à chaque acteur dans l’intérêt de l’enfant/élève. Et c’est la preuve qu’une situation tendue peut évoluer de manière positive !… »

Textes recueillis par Florence Raguenez
Création visuel : FLORILEGE

Véronique : parcours d’une reconversion

Le portrait qui suit, celui de Véronique, qui s’est reconvertie après avoir travaillé en entreprise, se déroule sur l’année scolaire 2015-2016. Principe adopté : nous nous rencontrons régulièrement, pour faire le point sur sa première année d’exercice. Expérience et regard d’une femme qui a toujours eu envie d’exercer le métier, et qui s’est donné la liberté de passer le concours…

26 août 2015 - quelques jours avant la rentrée des élèves...

Diplômée d’une maîtrise en ressources humaines, mère de 4 enfants, Véronique a décidé de vivre ce à quoi elle aspirait depuis son enfance : être enseignante.

Reconversion en deux temps : dans un autre département de Bretagne, deux années de suppléance, qu’elle a « adorées », l’ont confortée dans sa détermination. Un déménagement plus tard, ayant trouvé un poste administratif dans les ressources humaines, Véronique a tout à la fois préparé le concours de professeurs des écoles au centre de formation, en suivant des cours un samedi sur deux. « Un projet de couple », dit-elle, pour situer ce projet dans son cadre familiale : le mari de Véronique a fait le nécessaire pour qu’elle puisse se consacrer à cette préparation.

Au final, désormais validée par l’inspecteur de l’académie, la voici en poste, à mi-temps, co-titulaire avec Anne (qui assure par ailleurs la direction de l’école). Classe de CE1-CE2, école rennaise. 

DSC_0330Impressions recueillies le 26 août.

Lorsque je les rejoins, les deux femmes sont en pleine préparation matérielle. Elles modifient l’emplacement des tables, travaillent sur les aspects pratiques de la rentrée qui s’annonce. Les préparations pédagogiques sont déjà bouclées, depuis plusieurs semaines.

Sous le feu de mes questions, Véronique raconte ses motivations, son parcours. L’enthousiasme qu’elle ressent pour le métier est évident. Sa discrétion aussi. Elle n’évoque pas d’appréhension quant à cette rentrée prochaine, et c’est Anne, sa collègue, qui dit les choses en toute simplicité : « Nous sommes toutes les deux dans la même situation : nous arrivons dans une nouvelle école, avec une nouvelle collègue. Donc il va y avoir un calage pour toutes les deux ! Cela dit, ce n’est pas facile pour une collègue de travailler avec des gens comme moi, parce que nous sommes très pris par la direction ! »


Samedi 30 octobre 2015

Suite de notre deuxième portrait au long cours : avant-dernier jours des vacances scolaires de Toussaint, samedi 30 octobre.

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Premier constat : « Cette période s’est très bien passée…. J’ai été un peu stressée jusqu’à la réunion de parents, et puis après, on se détend un peu. » On écoute, les causes de son inquiétude quant à cette première rencontre. « Par exemple, je donne des petits textes à compléter, en devoirs du soir, pour exercer la conjugaison. Je me suis demandé si les parents allaient comprendre le fait que je donne un travail écrit alors que les textes officiels le déconseillent. » Le soir de la réunion, personne n’a émis de critique, au contraire : un père d’élève est même intervenu pour apprécier la faible quantité de devoirs. Autre exemple : Véronique s’inquiétait d’une correction fausse, un jour, dans un cahier : après l’avoir vue, elle a pris soin de refaire l’exercice avec toute la classe pour s’assurer de la compréhension de tous… tout en reconnaissant son erreur, pour signifier que même l’enseignante peut se tromper. Pendant la réunion avec les parents, elle a pu constater que personne ne songeait à remettre en cause son professionnalisme. « Je me suis créée des petits stress… Mais en vérité, les parents nous font vraiment confiance », observe-t-elle.

Les exemples cités par Véronique peuvent sembler minimes, pour une personne extérieure au fonctionnement de la classe. « Je suis une éternelle insatisfaite de ma pratique de classe », analyse la jeune enseignante. « Alors j’essaye de prendre du recul, en me disant que je fais au mieux, que tout ne peut pas être parfait ! »

Mais son tempérament n’explique pas tout. La capacité à douter (donc aussi parfois, à s’inquiéter), reste une constante chez les enseignants aguerris : Madeleine en témoigne.  L’ampleur et la complexité du travail explique cet état de fait. Sur ce point, le regard de Véronique est d’autant plus intéressant qu’elle a travaillé en entreprise, et que son efficacité dans le travail n’est pas à prouver -pour preuve : elle a réussi le concours de professeur des écoles en ayant 4 enfants-.  « Je suis à mi-temps, mais le travail est colossal. J’avoue que le temps de préparation est énorme. » Concrètement, Véronique prépare ses deux journées de classe en travaillant l’équivalent de deux jours. Et elle a confié ses enfants au centre aéré, pendant la première semaine des vacances scolaires. Question : le fait de débuter dans le métier est-il en cause ? Les témoignages de Claire, celui de Madeleine une fois encore, démontrent que le métier est extrêmement exigeant en temps de travail, y compris pour un professionnel expérimenté. Toute la difficulté résidant dans l’équilibre à trouver. « Etre à mi-temps, c’est une chance, pour pouvoir prendre du recul et cultiver d’autres projets», apprécie Véronique.

Concernant le lien avec ses élèves, Véronique constate d’abord qu’ils sont joyeux, heureux d’être en classe. Elle apprécie d’entendre dire « ça passe trop vite ! On est déjà l’après-midi, alors qu’on croyait qu’on était le matin ! ». Elle se perçoit comme « sévère », mais vit avec grand plaisir les sourires partagés avec les enfants, et avec ses collègues. « Il faut trouver l’équilibre entre le fait d’être exigeante, mais pas dure ». Son questionnement s’élargit aux contraintes posées par l’école, en tant qu’institution : « Ces élèves sont d’une génération où tout va très vite. Et là, à l’école, on leur demande de rester assis, de parler quand c’est leur tour… » La jeune enseignante avoue se questionner aussi sur ce point : elle estime son enseignement comme étant « quasi-magistral », ce qui ne la satisfait pas, sans pouvoir s’en détacher, pour le moment.

Questionnement à suivre !…


Fin novembre 2015

Viser l’objectif, avancer pas à pas…

Troisième rencontre avec Véronique, fin novembre : nous entrons pour la 1ère fois dans sa classe pour nous asseoir parmi les élèves. Après avoir parlé avec elle de sa conception du métier, nous observons la pratique de la jeune femme, reconvertie dans le métier alors qu’elle travaillait dans les ressources humaines, et désormais titulaire.

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Rappelons d’abord le contexte : une classe double niveau, CE1-CE2, donc deux groupes d’élèves appartenant à deux cycles différents, cycle 2 et 3. Véronique vient d’être titularisée, à mi-temps, en tandem avec Anne, chef d’établissement nouvellement nommée dans l’école également.

Première observation : Véronique distingue totalement les séances menées entre les deux groupes. Les compétences et les objectifs d’apprentissages stipulés dans les programmes officiels étant différents, elle mène les deux groupes indépendamment l’un de l’autre. Pour autant, elle fonctionne simplement : lorsqu’elle est en séance avec un groupe, elle se donne la liberté de circuler –brièvement- dans l’autre groupe, si besoin, à des moments adéquats, pour écouter et répondre aux questions des élèves en autonomie.

Deuxième constat : comme elle l’a décrit elle-même lors de notre rencontre précédente, elle regrette de devoir demeurer encore sur une pratique pédagogique à dominante transmissive : peu de travail en groupe, peu de manipulation ; tableau et cahiers d’exercices sont deux supports omniprésents dans la pratique de classe.

DSC_0405Et pour cause : on comprend bien que cette manière de faire « assure », et rassure, sur l’efficacité des séances menées avec les deux groupes, qui ne sont bien sûr pas homogènes. Cela étant, la souplesse et la posture de Véronique atténuent ce qui pourrait être rigide. Concrètement, son observation et son attention pour chacun lui permettent de réajuster, dès qu’elle perçoit qu’un enfant perd le fil du raisonnement. Exemple : un problème de maths, libellé de telle façon qu’un conservatoire doit acheter 2400 glaces à un fournisseur pour une fête… Elle regarde les élèves, s’arrête, et reprend : « Bon… alors, qu’est-ce donc qu’un conservatoire ? » « Et qu’est-ce qu’un fournisseur ? »

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Cet instant révèle l’équilibre à trouver, et parfois la tension existante, entre l’objectif d’apprentissage que l’on vise, que l’on aimerait le plus haut possible en rapport avec le niveau des élèves, et la hauteur des marches à réajuster pour que chaque élève puisse l’atteindre. Véronique le dit elle-même : elle passe beaucoup de temps à préparer sa classe. L’observation des séances qu’elle déroule d’un groupe à l’autre confirme la densité de sa préparation, qui se traduit aussi par des exigences : les exercices d’application s’enchaînent. Mais là encore, souplesse : « Je me rends compte que je dois avancer pas à pas », résume-t-elle. Sans impatience. Penchée aux côtés d’une élève, agenouillée entre deux autres, sa posture physique révèle sa posture d’enseignante : Véronique se place au service des élèves. Pédagogue au sens étymologique du terme, elle recale ses objectifs, quitte à ne pas faire ce qu’elle avait prévu, dans l’intérêt des élèves.

Mais tout cela ne peut se faire sans questionnement, ni petite tension intérieure. Exemple révélateur, Véronique est d’une précision d’horloger dans sa gestion du temps. Les séances sont calées ; la sortie en récréation se fait à l’heure exacte. En fin de matinée, dernière séance de maths, il faut coller des fiches dans un cahier. Petite voix douce, mais nette : « On colle ça très très vite dans son cahier. Et j’aimerais bien, ça me ferait très plaisir, qu’on ait le temps de faire un exercice d’application avant le repas… » Tout est là, dans cette petite phrase : le but visé, l’exigence, et une douceur nécessaire pour que les enfants acceptent de s’engager…

Ce texte prolonge notre découverte du parcours de Véronique. Les deux premières rencontres sont rangées dans l'article "Véronique, parcours d'une reconversion", colonne droite du blog.


Mi-février 2016

« Je me donne plus de temps, je leur donne plus de temps… »

Quatrième entrevue avec Véronique.  Aujourd’hui, un sujet émerge de lui–même : la fatigue.

DSC_0559« Evidemment, la fatigue est très présente…mais je fais tout pour que les élèves ne la subissent pas !». Véronique explique d’abord –sans égocentrisme, sans oublier qu’elle est à mi-temps, alors que tant de collègues sont en classe tous les jours-, ce qui peut expliquer la sienne.

Première explication : son organisation quant à son temps de préparation. Elle a d’abord essayé de préparer sa classe le jeudi et le vendredi. Mais elle se sentait « asphyxiée ». « J’ai besoin de faire autre chose, du sport, de la musique… » Désormais, elle planche le soir, lorsque ses quatre enfants sont couchés. « De fait, je ferme l’ordinateur aux alentours de 23h30. Je suis contente de travailler le soir : même si je me sens fatiguée, même si je suis « à fond » tout le temps, je me sens aussi plus équilibrée dans ce fonctionnement. »

Le constat rejoint ce que transmet également Madeleine, dans son témoignage : « un métier en équilibre « . Pour résister dans le métier, aller chercher l’énergie et s’aérer l’esprit en ayant des activités extérieures est indispensable.

Second facteur de fatigue : le temps de travail à l’école en lui-même. Véronique ne ressent pas de fatigue anormale du fait de la gestion de sa classe. Elle apprécie de travailler avec ses élèves, qu’elle estime attentifs et enthousiastes, même si certains sont assez « actifs ». « Il existe bien sûr une tension, liée à la période de l’année, mais chaque enseignant fait attention à ne pas le faire sentir à ses élèves… »

Restant centrée sur sa classe, Véronique a donc cherché à simplifier son fonctionnement. « A Noël, je me suis rendue compte qu’il y avait trop de fiches, ça n’avait pas toujours de sens… Et puis cela m’agaçait, parce que certains ne finissaient pas tout. Maintenant, je me détends un peu : je me donne plus de temps, et je leur donne plus de temps. Ceux qui vont plus vite, ils vont en « coin lecture » : c’est mieux que de leur présenter quelque chose que je ne calerais pas vraiment correctement. » Précision : le temps passé à lire est toujours centré sur un objectif, soigneusement défini, que Véronique travaille avec un ouvrage spécifique.

Autre adaptation, le travail des après-midi s’organise plus fréquemment à partir de jeux collectifs ou individuels. « Mais cela me stresse un peu, je ne suis pas très claire par rapport à cela ! » Ces moments, plus bruyants, sont-ils aussi efficaces pour les apprentissages que des séances plus classiques ? L’enseignante sait qu’elle doit mieux « border » ces temps, cibler les objectifs et la manière d’en évaluer l’efficacité.

Elle reconnaît aussi sa difficulté à supporter le bruit, quand elle est fatiguée. « Parfois, je suis dure », dit-elle. Une dureté autoévaluée à l’aune de son tempérament, paisible ! « Le bruit gêne tout le monde, personne ne peut travailler ». Mais… « C’est difficile, pour certains enfants, de rester assis toute la journée. Alors c’est à nous de changer nos modalités, bien sûr. » Et peut-être parfois à réévaluer un niveau d’exigence. Ainsi Véronique explique qu’à certains moments, par exemple lorsque les deux groupes classes se retrouvent après avoir été séparés pour un décloisonnement, l’agitation est difficile à endiguer. « Là, je rame ! Mais maintenant, je sais que ce temps de retour en classe est ainsi. Je me détends sur les objectifs que je me suis fixés : j’essaye de moins charger. Ce qui compte le plus, c’est de vivre la journée sereinement.»

Véronique raconte aussi la frustration qui peut exister, de prévoir des temps d’apprentissage que l’on ne peut boucler. « En fin d’après-midi, mieux vaut les concentrer sur une tâche précise. En éveil religieux ou en instruction civique, cela peut-être un bricolage. Et puis… j’arrête de parler ! »

Axe de recherche pour la suite : trouver un temps qui fédère le groupe, un temps de transition par le geste, qui pourrait être dans le registre des exercices de relaxation.

A suivre !…

Ludovic : année de validation

Le portrait qui suit, celui de Ludovic, qui a réussi à obtenir le concours après de nombreuses tentatives, est celui d’un jeune homme passionné. Tout comme Vincent, il a la vocation…  Cette année a une tonalité spécifique : à mi-temps dans une école dans laquelle beaucoup d’élèves ne parlent pas le français à la maison, et à mi-temps en formation, Ludovic exerce le métier tout en ayant le temps d’approfondir des questions essentielles. Parmi elles : comment exercer sans se lasser, avec enthousiasme, malgré les difficultés ?


Premier bilan : fin septembre 2015

Voilà quatre semaines qu’il a pris son poste dans une classe de Moyenne et Grande Section comportant 21  enfants de nationalités différentes, sur un total de 28 élèves.

D’emblée, Ludovic parle de la relation aux parents d’élèves de sa classe. Situons le contexte : le jeune enseignant est en poste à mi-temps, et en formation également, avant sa validation définitive par l’inspecteur de l’éducation nationale. Il exerce dans une école où beaucoup d’enfants issus de l’immigration entendent pour la première fois la langue française à leur entrée à l’école maternelle. « La barrière de la langue fait que la relation aux familles est, parfois, différente », observe-t-il.

Mais déjà, le dialogue commence à se tisser. Ludovic décrit ce qui vient d’être entrepris avec une famille dont l’enfant a eu besoin d’un aménagement de son temps scolaire. D’un côté, la réactivité de l’école dès les premiers jours de classe, de l’autre, la compréhension des parents : les deux ingrédients ont permis de mettre en place, rapidement, une première solution pour aider l’élève. Celui-ci vient désormais, pour le moment, uniquement l’après-midi, excepté le vendredi pour lequel il vient toute la journée. « Depuis cet aménagement, cet enfant a un rythme adapté à ses besoins et il progresse. J’arrive à entrer en communication avec lui, même si ce n’est pour l’instant qu’en relation duelle.»

Pour cette année de validation, Ludovic conjugue un mi-temps en classe, avec sa formation. Une articulation qui lui permet de chercher des pédagogies adaptées.

Pendant cette année de validation, Ludovic conjugue un mi-temps en classe, avec sa formation. Fréquentation assidue de la bibliothèque, à la recherche de techniques pédagogiques adaptées.

De ce que transcrit Ludovic, on perçoit la dynamique de l’équipe dans laquelle il s’inscrit. Exemple concret : les enseignants ont transposé une technique utilisée au centre de formation. Une fois par mois, ils se donnent un temps spécifique pour analyser une difficulté vécue par l’un d’entre eux. Lors de ce travail totalement disjoint des temps de concertations, chacun livre un problème lié à la pédagogie, ou à la gestion d’un comportement d’un élève, ou même à la mise en œuvre d’une adaptation de la scolarité pour un enfant. L’équipe choisit une situation, puis la décortique pour trouver des pistes de solutions.  « En arrivant, on se demande qui va parler…En fait, c’est génial : on livre nos difficultés, on ne repart pas avec notre mal-être, et on imagine tous ensemble des actions à mettre en œuvre. » Et cela d’autant plus qu’une personne référente du réseau pour la gestion des situations difficiles intervient, à plusieurs reprises dans l’année, pour apporter son expertise.

« Quelle que soit l’école où je serai titularisé l’an prochain, ce qui va me manquer, ce sont des formations sur les enfants à besoins spécifiques », projette Ludovic. Le stress de l’obtention du concours étant dépassé, sa réflexion porte désormais sur les techniques pédagogiques susceptibles de répondre aux besoins des élèves qui n’entrent pas dans les apprentissages. Déjà, se dessine son profil d’enseignant : enthousiaste, tout en étant soucieux de répondre au plus près aux besoins de chaque élève.

Ce questionnement ne l’empêche pas de s’engager. Ludovic est généreux de son énergie ; les parents le perçoivent instinctivement : « Je ressens énormément de confiance », dit-il : « J’ai des sourires tout le temps ! ». Dans ce quartier où certains habitants parlent très bien le français, et d’autres peu ou pas du tout, le jeune enseignant observe, et savoure : « Les gens se connaissent, ici. Ces parents ont le sourire dans le mot, une joie de vivre, un bonheur, je trouve ça génial ! La diversité est enrichissante… peut-être aussi parce qu’elle implique de trouver, ici plus qu’ailleurs, des réponses adaptées à chaque élève. »


Quelques jours avant la rentrée : 24 août 2015

Motivé depuis toujours pas le métier d’enseignant, Ludovic a effectué des suppléances pendant 6 ans.

Fait marquant de son parcours, il explique « avoir fait le pari de reprendre les études, il y a deux ans, pour se former aux attentes du métier, en se remettant en question quant à (son) expérience de suppléant, pour préparer sérieusement le concours ». Pari gagné, en 2015.

L’année à venir sera donc celle de sa titularisation.

Concrètement, il exercera à mi-temps dans une classe de Moyenne-Grande Section, dans une école de 13 classes, au côté d’une co-titulaire, Fabienne. Et il suivra des cours théoriques au centre de formation, le reste de la semaine.

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Premières impressions recueillies le 24 août, dans sa classe vide d’enfants…

« Je suis plein d’enthousiasme ! Et en même temps, j’ai une appréhension, la boule au ventre, comme tout enseignant… Je crois que mon questionnement, aujourd’hui, c’est de me demander comment je vais me positionner en tant que co-titulaire, et plus en tant que suppléant, comme je le faisais jusqu’à présent. Cela dit, je suis plein d’entrain ! »


Début avril 2016 

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Ludovic vient d’être inspecté. Cette visite est une étape très importante, avant la validation définitive de chaque enseignant-stagiaire.

Pour poursuivre ce témoignage entamé en début d’année, retour sur son parcours pour dégager les point-clefs de sa pratique.

Capable de s’émerveiller des sourires des élèves, de chercher inlassablement une solution pour chacun, tout en ayant conscience du fait que le métier peut être enfermant… il démontre qu’un enseignant est, aussi, un chercheur dans l’âme, déterminé et optimiste !

– Ludovic, merci de nous resituer ton parcours…

Ludovic : « J’ai fait 6 ans de suppléance, puis j’ai repris mes études pour valider un master « métiers de l’éducation ». Au total, j’ai passé 8 fois le concours, mais je n’avais pas le temps de le préparer correctement lorsque j’effectuais des suppléances. En 2015, l’année du Master 2, j’ai obtenu deux moutures de concours différentes : le concours réservé, accessible aux suppléants ayant totalisé un nombre d’années de travail suffisant, et le concours externe. »

– Comment as-tu réussi à rester motivé, malgré les échecs aux concours successifs ?

Ludovic : « En réalité, je n’ai jamais pensé… que cela ne marcherait jamais ! D’abord, j’ai toujours réussi à passer la barrière des écrits. Et puis, concrètement, j’ai toujours effectué les suppléances avec un vrai bonheur. Jamais je n’ai eu du mal à aller travailler ; j’ai toujours eu envie de continuer, même quand mon poste était loin de chez moi. Et puis, mon travail pour les élèves a toujours été apprécié. Que ce soit de la part des collègues, ou de la part des tuteurs qui sont passés dans mes classes pour me guider, j’ai toujours été encouragé. Et les parents, eux aussi, m’ont toujours fait de bons retours. »

– Les suppléances sont-elles un « plus » pour obtenir le concours ?

Ludovic : « Elles donnent des connaissances sur l’école, le système… mais peut-être trop, dans un sens. J’ai passé la barrière de l’écrit à chaque concours que j’ai passé, mais j’ai été refusé aux oraux. Je pense aujourd’hui que je devais dire les choses telles que je les percevais, telles que je les vivais, mais que ce n’était pas forcément comme cela qu’il fallait faire. Le Master prépare au concours : le résultat est là. »

– Comment analyses-tu tes motivations pour ce métier ?

Ludovic : « Aucun membre de ma famille ne travaille dans le milieu enseignant. J’étais bon élève ; j’ai toujours aimé l’école. Je me souviens de mon stage de 3ème : j’étais allé observer des professeurs des écoles. Même si j’étais incapable d’analyser leurs pratiques, j’étais tout simplement heureux de me retrouver dans une classe !

Ce qui me motive, ce que j’aime, c’est de pouvoir aider un élève à comprendre. Dans n’importe quel domaine, que ce soit la grammaire ou autre chose, quand l’enfant comprend, réussit, c’est remarquable ! On se demande comment il fonctionne, comment cela fonctionne à l’intérieur de son cerveau : parfois pour que cela ne « passe » pas, et puis quand la réflexion et les automatismes se mettent en place . Quand c’est plus dur, c’est un challenge… et moi aussi, je continue d’apprendre, en cherchant des idées, des solutions. Peut-être que j’idéalise encore le métier ! En tous les cas, je me dis qu’il peut toujours y avoir un levier, que je peux toujours travailler pour chercher. »

– Ce que tu expliques là, c’est l’idéal !… Mais quand un ou plusieurs enfants ont un «comportement difficile », et que la classe en devient parfois très compliquée à gérer, dans ces moments-là, comment vis-tu ?

Ludovic : « Je regarde les enfants qui sourient… ne serait-ce que ça. Le sourire qui arrive à 9h00, après avoir quitté maman. Dans certains cas, il y a des situations familiales très dures ; c’est la réalité de la vie. Pour ces enfants-là, l’école, c’est au moins quelques heures de la journée où l’élève ne pensera pas aux soucis de la maison. Et c’est bien : c’est bien, que l’école permette à l’enfant de créer sa place à lui.

Quand un enfant s’énerve et balance les objets autour de lui, cela me heurte. Mais au final, s’il ne s’est pas mis en danger, ni lui ni les autres, je l’accepte. Mais il m’est arrivé aussi, pendant certaines suppléances, d’accueillir un enfant qui insultait, qui renversait des tables, qui se mettait en danger et mettait en danger les autres… là, je me sentais dépassé. Et j’avais l’impression que je pouvais partir en vrille. Il y a des choses qui nous dépassent, et qui dépassent les enfants eux-mêmes. Dans ces cas-là, ce qui m’a fait tenir, c’était l’appui des familles, et le travail partagé avec les spécialistes extérieurs. Et puis on recale les objectifs : le premier, c’est parfois que l’enfant trouve sa place dans la classe en tant qu’élève, avant même de penser aux apprentissages… »

– As-tu parfois d’autres sources de découragement ?

Ludovic : « Les préparations sur papier sont parfois fastidieuses. Tu as les idées, tu sais comment tu veux mener la séquence, mais il faut que ce soit écrit. C’est parfois très utile, pour préciser le déroulement des séances, et je comprends que ce soit nécessaire pour qu’une personne extérieure puisse juger de la pédagogie choisie. Mais c’est parfois du temps en moins à réfléchir sur une situation pédagogique qui pourrait être plus pertinente… »

A ce sujet, celui du temps de travail « caché », celui qui ne se joue pas dans la classe devant les élèves, tu as dit qu’aucun membre de ta famille n’est issu du milieu enseignant. De fait, comment conjugues-tu ton métier et ta vie privée ?

Ludovic : « L’école, quand on aime son métier, c’est un univers… Et tu peux vite t’y enfermer, si tu n’as pas un réseau amical et familial qui te sort de ça. Je ne pourrais pas parler que de mon travail… et pourtant, quand on se retrouve avec des amis enseignants, on ne parle que de boulot ! Ce qui est enfermant, ce sont les préparations, la correction des copies. Tu as vite fait de passer ton week-end à préparer : c’est super, tu as préparé ta classe à fond, elle est nickel… mais… tu n’as rien fait d’autre !

Donc pour moi, la solution réside dans mon organisation de la semaine : pas d’ordinateur le soir, je préfère me lever tôt ; et puis j’ai calé précisément mes temps de travail et mes temps de loisirs. »

– Madeleine, dans son témoignage, listait des points d’équilibre. Les vis-tu comme elle ?

Ludovic : « Oui. Je peux ajouter que, pour moi, l’équilibre passe aussi par l’acceptation que rien n’est parfait.

Il y a toujours une frustration : on peut se dire : «  j’aurais pu préparer cette séquence différemment ; j’aurais aimé que cette séance fonctionne mieux ; j’aurais pensé que cet enfant-là allait comprendre… » Il faut accepter que tout ne fonctionne pas comme on le souhaiterait, et c’est difficile, pour moi, de me faire à cette idée. J’aime les choses calées, et bien carrées. C’est paradoxal, parce que j’accepte chaque enfant comme il est, qu’il ne comprenne pas, qu’il fasse des erreurs. Mais j’ai du mal à accepter mes propres imperfections ! »

Pour retrouver la première partie de ce témoignage, cliquez sur : "Ludovic, année de validation."

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